FADEL Youssef


© photo Patrick Fabre, 2007
Maroc Origine de la bourse : Centre national du Livre

Bourse du Centre national du Livre - 2000
Né à Casablanca en 1949.
Romancier, dramaturge et metteur en scène.

Youssef Fadel est monté très tôt sur les planches, au sein d’une troupe de théâtre amateur. Marqué par le militantisme des années soixante, il écrit, en 1974, et avec quelques amis, La Guerre, une pièce théâtrale qui lui valut huit mois d’enfermement dans le cachot de Moulay Chérif. C’est durant cette période qu’il écrit Le Coiffeur du quartier des pauvres, plus tard portée à l’écran par Mohamed Reggab. Depuis, il a aussi bien écrit des pièces, que des romans, travaillé sur des scénarios et dialogues et comme metteur en scène.

Youssef Fadel est aussi l’auteur d’un essai, Fragments d’imaginaire, édité en français et en arabe aux éditions le Fennec, avec le concours du service culturel de l’Ambassade de France. Son roman, Haschish, a remporté le prix Atlas en 2000 pour le meilleur livre en langue arabe.

Il est également l’auteur d’une série d’adaptations dont Du Pain plein les poches, de Mateï Visniec en 1995.

Il est un des membres fondateurs du "Théâtre Shem’s" et dirige la revue littéraire "Nejma".

mise à jour décembre 2014

Créations de l'auteur

Théâtre édité en français

Les Enfants du pays ,
Acoria, Paris, 2000 - représentée au Théâtre Chem’s (Maroc), 1998
Deux amis échappés peut-être d’un asile psychiatrique vont faire des rencontres dans des gares et des lieux de partance qui accentuent la marginalité et la tristesse. Ces rencontres, dans l’atmosphère nocturne et glauque d’une grande ville où violence, exclusion et arnaque ponctuent le temps, vont bouleverser leur vie déjà assez mouvementée.
Nombre de personnages : 9 hommes, 1 femme

Je Traverse une forêt noire ,
collection "Passages francophones", Théâtrales/Les Francophonies en Limousin, 2002, création au Centre culturel français de Casablanca en janvier 2003.
Dans un pays qui pourrait être sur le continent africain, le père de Mina, acteur involontaire des guerres coloniales, vient de disparaître. Sans nouvelles de lui, la jeune fille, sa valise à la main, commence alors un long périple qui la conduira sur les chemins difficiles de l’émigration, dans une cité de ce qui pourrait être l’ancienne métropole. Traversées de frontières, clandestinité, exploitations et compromissions en tous genres ponctuent ce voyage à la quête de son identité et à l’aspiration d’une vie meilleure. De mirages en désillusions, son périple la ramènera au pays et la conduira au parricide.
Nombre de personnages : 6 femmes, 10 hommes

Les Topographes , lecture par Jean Alibert, aux 22es Francophonies en Limousin, 2005 (Ecrits de résidents).
Hammou et Kammou sont deux ouvriers désespérément à la recherche d’un endroit pour construire un mur censé arrêter les voleurs. Pendant ce temps, Aamar, un voleur, est suivi par Fatima. Elle l’aime mais lui prétend qu’elle est sa sœur pour lui trouver un mari. Il hésite entre trois hommes : Jawal, le douanier, Blal ou Allal, les inspecteurs. Fatima les refuse et projette de partir en secret avec un chauffeur de camion suisse. Jawal, le douanier, en tue un, prend sa place et part ainsi avec Fatima. Alors qu’Aamar tombe malade, les deux inspecteurs partent à la recherche de Fatima pour l’arrêter.
Nombre de personnages : 1 femme, 6 hommes.

Un Joli chat blanc marche derrière moi , roman, Actes Sud, 2014

Théâtre édité en arabe dialectale

Le Coiffeur du quartier des pauvres, Attakafa Aljadida, 1978 Grandeur et décadence de Marrakech, Attakafa Aljadida, 1980.
Le Voyage de Si Mohamed, 1982.
Le Requin, Ouyoun, 1987 - a représenté le Maroc au Festival du Caire en 1995.
Les Jours de gloire, 1994.

Autres pièces inédites

Les Beaux jours, Théâtre d’aujourdhui, 1996.

Pain et pierre (adaptation), Théâtre Chem’s, 1996.

Fantasia, Théâtre Chem’s, 1997.

Guilgamesh, 1997, avec le concours de l’ambassade de France de Rabat, reprise au Festival de Marseille, juillet 1997.

Bouhafna, représentée au Théâtre Chem’s le 2 mars 1999.

Jeux africains, écrit pendant sa résidence à Limoges (2000/2001). Lecture "Beaumarchais" au 18e Festival international des théâtres francophones en Limousin, septembre 2001.

Les Quais, 2002.

La Vie à côté, 2007, création au Théâtre Mohamed V à Casablanca, 9 février 2008.

Romans édités en arabe classique

Les Cochons, Aljamiaa, 1983.
Aghmat, Le Fennec, 1989.
Celestina, Najma, 1993.
Le Roi des juifs, Arrabita, 1995.
Haschisch, Le Fennec, 2000, Prix Grand Atlas Maroc 2001.
Mitrou mouhal, roman en arabe, Le Fennec, 2006.

Publications diverses

Fragments d’imaginaire, essai sur Casablanca en collaboration, éditions Le Fennec, 1997, avec le concours du service culturel de l’ambassade de France à Rabat.

Casablanca, photographies de Yves Jeanmougin, texte de Youssef Fadel, co-édition Tarik / Métamorphoses (Friche La Belle de Mai, Marseille), 2007

Scénario et dialogues

Le Coiffeur du quartier des pauvres, 1983, réalisé par Mohamed Reggab.

Le Fleuve (El ouad), 1995, réalisé par Daoud Aoulad Syad, 1998.

Mektoub, 1997 (adaptation des dialogues), réalisé par Nabyl Ayyouch.

Adieu forain, réalisé par Daoud Aoulad Syad, prix du meilleur scénario au Festival national du film, novembre 1998.

Jawhara, fille de prison, film de Saad Chraïbi, scénario de Saâd Chraibi, Youssef Fadel, dialogues Youssef Fadel, 2003.

En attendant Pasolini, réalisé par Daoud Aoulad Syad, 2007.

Pièces pour la radio

Miroir Ocre, fiction diffusée par France Culture dans le cadre d’une série "Mémoire d’ondes - Marrakech - Les lieux et la mémoire, janv. fév. 2002.

Autres informations

Youssef Fadel et les Francophonies en Limousin

2001/2001 : Résidence à Limoges, bourse du Centre national du Livre avec le projet d’écriture Jeux africains, écrit pendant sa résidence à Limoges (2000/2001).

Septembre 2001 18e Festival international des théâtres francophones en Limousin : lecture "Beaumarchais" de Jeux africains par Patrick Hagglag.

2002 : Je Traverse une forêt noire, co-édition Théâtrales/Les Francophonies en Limousin, collection "Passages francophones".

2005, 22es Francophonies en Limousin (Ecrits de résidents) : lecture Les Topographes par Jean Alibert.

Le Théâtre de Youssef Fadel,
par Christian Schiaretti, metteur en scène

C’était dans un appartement dans les étages quelque part à Casablanca. J’avais rencontré Youssef Fadel quelques jours auparavant près d’un grand hôtel de la ville, sans bien mesurer la désinvolture du choix de notre lieu de rendez-vous.
La nuit était déjà bien avancée et Youssef avait réuni auprès de lui ce qui constituait à l’époque son équipe ou l’équipe devrais-je dire tant les notions de propriété et d’ascendance étaient ici exclues. Tout respirait la connivence et le projet commun, quelque chose entre résistance et vocation, que mon âme touristique tendait à m’indiquer en frissons.

Youssef était habillé de bleu. Compact, central. Il portait des bottines, mi-chaussures élégantes, mi-chaussures de marche. Curieusement ce détail vestimentaire me concerna. Semblant à lui seul me révéler l’individu : prêt à tenir, prêt à partir. Ses souliers l’ancraient dans le sol, dans son sol, lui conférant la solidité de l’obstination et les ruses de la mobilité. Sans apprêt ni complaisance, l’homme supposait une âme rétive, une allure de militant.

Mais si Youssef est militant, il l’est par son être profond. Si Youssef est militant, c’est d’être singulier. Je n’ai jamais senti parlant avec lui de son théâtre, de son pays, de sûreté d’analyse ou de vérités affirmées. Du refus oui, de l’humour toujours. Une méfiance de l’altitude. Comme dans son théâtre. Rien n’y est pris en surplomb, en volonté de démonstration. Au contraire, théâtre de l’horizontalité, on y marche beaucoup, c’est du sol qu’un ciel se dessine et non du ciel qu’un monde se résout.
[ …]
Théâtre solaire, l’humour y travaille en rédemption des soucis de survie. Admirable leçon de celui qui sait que l’on met bien plus d’énergie à sauver un porte-monnaie vide qu’à préserver un empire. S’il peut effrayer, le théâtre de Youssef Fadel confère toujours une énergie d’espérance. Non pas une espérance béate et déclamatoire, mais une espérance de bricoleurs et de combinards que seuls les pauvres avec leurs ruses de démunis peuvent concocter dans leur cave pour l’offrir au monde.

Théâtre violent, sans affectation, il n’est ni complaisant avec sa violence ni surpris par elle. Qu’il s’agisse de cracher dans la bouche d’un vieillard ou de s’impatienter à l’agonie d’un vivant, le rire dans sa mécanique dentaire y indique le sourire comme le croc.

Le rire. Dimension essentielle de ce théâtre dont une lecture mal comprise de ce côté de la Méditerranée pourrait à la scène enlever toute efficacité. Il est important que ce théâtre fasse rire, autrement dit qu’il nous inquiète, non parce qu’il se moque des responsabilités démontrées, apaisant nos consciences, mais parce qu’il laisse aller l’humaine condition en chaotique chemin de combats quotidiens. On ne s’y fait pas d’illusions. À l’illusion, Youssef préfère le rêve. Fait de décalages subtils, de glissements soudains, voici un théâtre à qui il faut peu pour représenter le monde ou pour s’en échapper, sinon la puissance de l’évocation. Courtes répliques, peu d’expositions, ce théâtre est fluide et ramassé. Il est comme écrit du plateau.

Les Topographes (extrait)

Jawal :
C’est la porte 2 ? On m’a dit qu’elle se trouve par là. Le chef, il me dit de suivre le mur. Quel mur je lui réponds. On n’a pas encore construit le mur. Il me dit tu vas suivre ce mur oui ou non ? Alors moi je suis le mur qui est dans la tête du chef. Et je cherche la porte 2 qui est dans la tête du chef. Avant j’étais devant la porte 4 (qui se trouve aussi là où je vous ai dit). Et ce matin il m’envoie à la porte 2. Il n’a pas aimé ma gueule. C’est ce qu’il a dit. Mais moi je sais pourquoi. Parce que j’aime rigoler. Je me moque de tout. Le rire prolonge la vie. Il n’y a rien au monde qui ne me fasse pas marrer. Quand je me retrouve seul et que je n’ai rien à faire, je passe mon temps à me moquer du chef. Alors lui, il l’a appris. C’est pour ça. Mais au lieu de le dire, il me parle de ma gueule. Et pourquoi, avant, ma gueule, il la trouvait sympathique ? Mes camarades me disent nous aussi on est passé par-là. T’as pas à t’inquiéter, qu’ils me disent. Va le voir dans son bureau, dans un de ses bons moments et tu lui demandes pardon. Et s’il continue à ne pas aimer ma gueule ? Continue à aller le voir. Continue à lui demander pardon. Jusqu’au jour où… C’est ce que nous faisons tous. Nous aussi on trouve la combine un peu compliquée mais c’est comme ça chez nous à la douane. Et si ça continue ? Qu’est-ce que je fais ? Alors va voir le toubib. Ou bien le fquih. Pour qu’il t’écrive un talisman. Nous portons tous un talisman quand les choses se gâtent. Moi aussi j’en porte un de talisman. Et je vais bien. Je ne suis plus inquiet. Mon appétit s’est ouvert. Et j’en bouffe, des choses, depuis.

Liens

Editions Théâtrales (Je traverse une forêt noire)

Interview de Youssef Fadel - octobre 2012 : Le Bar de l’Europe / TV5 mONDE