Guillaume Poix, lauréat du Prix Sony Labou Tansi des lycéens 2016 pour sa pièce Straight
La remise du prix a eu lieu le mardi 27 septembre à Limoges, suivie d’une lecture par des lycéens ayant participé au jury.
Guillaume Poix ne pouvant pas être présent ce jour là a adressé le message suivant aux lycéens :
Champsecret, le 20 septembre 2016
Encore une fois, c’est par une lettre que j’échange avec vous, une lettre qui me fait honte. Dans mon précédent courrier, je formais le vœu que nous nous rencontrions et vous m’avez pris au mot en me donnant cette chance ; et voilà que je vous fais faux-bond – il y a de quoi avoir honte.
Je suis actuellement à Champsecret et, si le seul nom du lieu donne envie à un auteur de s’y réfugier – d’autant qu’on y fabrique de succulents camemberts –, je ne m’y suis toutefois pas réfugié : je répète un spectacle que j’ai écrit et que je mets en scène. La première aura lieu le 8 octobre.
Je m’apprête aussi à rejoindre Genève car s’y jouera le lundi 26 septembre la première de l’un de mes textes et il a été prévu, depuis de longs mois, que je vienne non pas faire des mondanités, même si elles sont inévitables (je ne suis pas dupe), mais défendre le texte, qui fait déjà polémique comme on dit. Ce texte-là n’a pas la chance et l’honneur d’avoir reçu un prix comme Straight et il est encore bien fragile : il faut répondre de chaque mot, aller au combat, entrer dans la bataille, soutenir l’équipe qui prend le risque de l’incarner.
Si je vous parle de moi, si je prends ces détours, c’est pour vous expliquer le pourquoi de mon absence et la grande tristesse que je ressens à ne pouvoir partager cette journée avec vous.
Quand j’ai appris que vous aviez décidé de m’adresser le prix Sony Labou Tansi, j’ai été extrêmement honoré, chamboulé, impressionné, intimidé, heureux – et seul. Oui, seul. Je me disais : « C’est absurde, je suis de mon côté, dans un coin alors que des lycéens m’adressent un magnifique cadeau, et je ne peux rien faire, je ne sais pas qui ils sont, je ne sais même pas qui remercier. » Très vite, on m’a calmé : j’allais pouvoir vous rencontrer et vous dire de vive voix le merci qui me brûle les lèvres depuis cinq mois.
Et puis on m’a indiqué la date fixée pour cette rencontre.
Patatras.
J’avais pris l’engagement d’aller à Genève défendre le texte dont je vous ai parlé, devant regagner dès le 27 septembre Champsecret où m’attend une équipe pour continuer les répétitions.
J’ai tout fait pour tenter de concilier les engagements, mais j’ai échoué : aucun train, même les plus rapides, ne me permet d’être à Genève un lundi soir et à Limoges un mardi midi.
D’ailleurs, même si ce train supersonique n’existe pas encore, je veux remercier ici la SNCF qui dote le prix que vous m’accordez d’une somme d’argent très importante. Cela change bien des choses dans le quotidien d’un jeune auteur, lequel passe d’ailleurs sa vie dans les trains !
Ça tombe bien, j’adore être dans les trains, mes textes doivent tous quelque chose à ces translations ferroviaires qui aident l’esprit à vagabonder, s’enfuir un peu – s’envoler. Se consoler de son impuissance.
Alors je tourne autour du pot, mais je ne voudrais pas que vous interprétiez mon absence comme de l’indifférence, ou pire, du dédain. Je ne veux pas que vous vous imaginiez que ce prix ne compte pas pour moi : son histoire, son déroulement, son esprit, le nom qu’il porte me sont infiniment chers.
Mais une vie d’auteur, je commence tout juste à m’en apercevoir, est faite de ces revers-là : on va de lieu en lieu, de gare en gare, on doit faire des choix qui crèvent le cœur et on espère que les textes, moins lourds à voyager que les corps, seront toujours plus forts que soi – et heureusement : ils le sont !
Alors j’ose vous formuler une demande.
Je vous demande aujourd’hui de m’oublier et de ne regarder en face que ce texte, Straight, que vous avez remarqué, aimé, peut-être désaimé, et qui vous doit d’être porté par vos voix dont j’imagine la tessiture et la vibration.
Ce texte ne m’appartient pas, il est à vous ; je ne suis vraiment rien au regard de l’émotion qu’il peut faire naître en vous, il a toute-puissance désormais et je souhaite très sincèrement qu’il vous accompagne et vous soutienne tout comme ses personnages m’ont soutenu.
Je vous demande de maintenir vivant le souvenir de ces femmes disparues, de croire qu’un autre monde n’attend que nous, de vous engager pour les causes qui vous brûlent.
Je vous demande d’aller au théâtre, de franchir les portes des institutions, d’y imposer votre présence, d’occuper les lieux, de les investir, d’exiger leur accès. Vous y êtes chez vous, et c’est à vous de les forcer à se réinventer ; c’est à vous de contraindre ces espaces à dire le monde d’aujourd’hui tel qu’il est vraiment et à vous représenter toutes et tous, ce qu’il ne fait pas assez, pas encore assez bien du moins.
Je vous demande de lire des auteur-e-s vivant-e-s. Nous ne sommes rien si vous ne nous lisez pas. L’honneur que vous me faites en choisissant Straight me donne plus que jamais l’énergie et la détermination d’écrire. C’est le plus grand et beau cadeau que vous pouviez me faire : m’encourager à continuer. Alors continuons, continuons sans relâche.
Je vous demande de me pardonner de ne pas célébrer cet instant avec vous, de ne pas fêter ce beau prix en votre présence.
Et je vous demande surtout de me pardonner de vous adresser toutes ces demandes.
Je vous remercie tant et tant de votre choix.
Je vous salue avec toute ma reconnaissance et mon amitié,
Guillaume Poix