Création
Texte et jeu Criss Niangouna, mise en scène Laetitia Ajanohun
« Dans ton demi-dakar, ou ton costume cintré bien signé d’un couturier à la mode, tu te mets au-dessus de tout le monde. Tu planes, t’es Dieu, rien ne peut t’atteindre, rien ne peut te toucher. Le monde est petit, et toi t’es grand, ils sont la Seine et toi le fleuve Congo. Ils sont la tour Nabemba et toi la tour Eiffel. Y’a pas match, t’es au sommet, le sommet des sommets. »
À l’heure où un mouvement hostile à la réélection de Denis Sassou Nguesso rassemble les voix démocratiques au Congo, il est intéressant de faire le détour par la parole de l’acteur pour plonger dans une vision aussi ludique que politique de la situation...
Ainsi, aux dernières minutes de sa vie, prétextant une apologie de la SAPE, un homme provoque un dialogue avec son fils, afin de lui léguer ses interrogations, son amour, ses coups de gueule sur ce pays où il est né, et son amour invétéré pour ce pays choisi. Comme dans un dernier tour de ring, il se bat contre les partis uniques, les arrestations arbitraires, les dictateurs qui gèrent les pays comme leur poche. Il se bat contre les guerres politiques, transformées en guerres civiles, les changements de constitutions à l’emporte-pièce. Il livre un ultime combat pour transmettre à son fils tout son savoir, sa vie, ses rires, comme ses déboires, son envie d’apprendre, comme son rêve de Paris, la Ville Lumière. Il doit mourir. Oui mourir. Parce que la mort libère la bête.
Le décor est à l’image de l’espace mental du père, un enclos bricolé avec des objets glanés ici et là, un entrepôt de souvenirs vécus et des rêves mêlés. Dans ce quelque part se raconte la vulnérabilité d’un homme, abandonné à lui-même, la faute au caillou dans sa tête. À travers son personnage, l’auteur s’interroge : « Qui serais-je si je n’avais pas eu accès au voyage ? ». Un acteur emprisonné dans un personnage ? Un être tentant de se mouvoir dans un costume trop lourd pour lui ? Que fait-on d’un gisement d’oppressions, d’une cargaison de « c’est comme ça », d’un baril d’histoires honteuses qui dégoulinent et qui te goudronnent à même le sol ?
Il serait peut-être ce Sapeur, ce fabulateur génial qui brouille les pistes, titubant entre la réalité et ses prétentions, cet homme méprisé qui est bien plus que tout ça réuni. Il serait ce fils-là qui a avalé à grosses rasades les contradictions de son monde et qui aujourd’hui emprunte le costume d’un père pour se penser en adulte. Il serait peut-être cet homme qui se défait peu à peu du costume et de ses oripeaux, se dépasse, se désape et se laisse voir pour se sentir plus léger, prêt à partir.
Criss Niangouna
Il commence au théâtre dans les années 90 avec les compagnies de Brazzaville, qui étaient à ce moment-là, les structures privilégiées pour apprendre le métier de comédien. Il travaille avec Massemgo Mâ Mbongolo, Alfonse Lafoua, Gaël Leborgne, Jacques Livchine et Hervée Delafond, Jean-Paul Delore ou Sophie Lecarpentier. Par la suite, il a participé aux créations de la compagnie Les bruits de la Rue dont il est co-fondateur avec son frère, Dieudonné Niangouna. Il sera ainsi dans la distribution de Carré Blanc, Le Cœur des enfants Léopards, Le Socle des Vertiges (créé au festival Les Francophonies en Limousin en 2011) ou Shéda (créé au Festival d’Avignon en 2013).
Récemment, il a participé aux spectacles Sony, une chouette petite vie bien osée de Bernard Magnier mis en scène par Hassane Kassi Kouyaté et Au nom du père, du fils et de J-M Weston de et par Julien Mabiala Bissila.
Avec Costume ou Demi-Dakar ?, Criss Niangouna signe son premier texte dramatique.
Laetitia Ajanohun
Laetitia Ajanohun est née à Liège en 1978. Après des études d’interprétation dramatique à l’institut des Arts de Diffusion en Belgique, elle expérimente la scène en tant que comédienne sous la direction de Sylvie De Braekeleer ou René Bizac. Peu à peu, l’envie et l’urgence d’écrire se manifestent ainsi que celle de mettre en scène.
Elle écrit alors et monte un premier texte pour six comédiens à Bruxelles, Hippocampes. Parallèlement, elle joue dans une création d’après Les Nuits Blanches de Dostoïevski dirigée par Jurij Alshitz en Allemagne, Chypre et Italie. Suite à une rencontre avec Étienne Minoungou elle commence à concevoir des projets au Burkina-Faso et au Bénin. D’autres aventures se dessinent en Côte d’Ivoire, au Congo, en RDC, en Guinée, en Tunisie, en Guyane ainsi qu’en France et au Québec tantôt en tant qu’auteure et metteure en scène, tantôt en tant que comédienne. Elle continue à travailler avec des artistes belges de sa génération : Odile Vansteenwinckel, Olivier Coyette, Aurélie Vauthrin-Ledent.
En 2013, elle joue dans Shéda de Dieudonné Niangouna, créé au Festival d’Avignon et en tournée internationale. Elle poursuit son travail avec Dieudonné Niangouna en tant que collaboratrice artistique sur son projet Le Kung-Fu ou pour la reprise du Socle des vertiges, créé aux Francophonies.
Elle a édité La Noyée aux éditions de l’Harmattan en 2011 et Les Mots sont manouches aux éditions Lansman.